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La place de l’histoire du droit et des institutions dans les pensées libertaires
29 novembre
LA PLACE DE L’HISTOIRE DU DROIT ET DES INSTITUTIONS DANS LES PENSÉES LIBERTAIRES
Le programme du colloque est disponible ici.
ARGUMENTAIRE
Les penseurs libertaires (1) et anarchistes dans leurs réflexions politiques ont eu à coeur d’évoquer le droit et d’appréhender son histoire (2) . Mais, face à une conception du droit fondée sur une acceptation, plus ou moins consciente, de la notion d’État, sanctionnant le droit via une violence légitime dont il a le monopole, ils ont recherché dans les marges (3) , temporelles et spatiales, les formes de droits non étatiques, ce « ius » qui n’était pas lex (4) . À cette occasion, ils se sont tournés vers l’histoire, et particulièrement l’histoire du droit et des institutions, et les autres sciences de l’homme, anthropologie et ethnologie, appliquées aux concepts juridiques (5) . C’est la place de ce regard, vers le passé ou vers les marges contemporaines, et sa méthode au sein des pensées libertaires que nous souhaitons interroger. Il s’agit de comparer, d’un côté, la pensée d’auteurs/ militants se revendiquant comme libertaire et/ou anarchiste (ou que l’on a rattaché au mouvement sans que ceux-ci se soient définis au moment de leurs écrits comme tels) à propos de droits et institutions de périodes historiques qui précèdent la formulation de la pensée et, de l’autre côté, l’état des connaissances historico-juridique au moment de cette formulation. Quelle vision des droits et institutions se forme chez les penseurs libertaires ? Que cette vision partage-t-elle avec l’historiographie de leur époque ou, au contraire, qu’est-ce qui l’en distingue ? Quel(le)s auteurs/oeuvres/sources sont convoqué(e)s par ces penseurs et, au contraire, lesquel(le)s ne le sont pas ? D’autres penseurs mobilisent-ils les mêmes sources et à quel degré leurs interprétations diffèrent-elles des penseurs identifiés comme libertaires ? Quels sont les objectifs poursuivis par les penseurs qui réfèrent à ces périodes anciennes ? Quelles sont les conclusions de ces auteurs ? Comment ont été recueillies ces conclusions par les successeurs de ces penseurs, a fortiori, pour ceux ayant oeuvré autour de la moitié du XIXe siècle jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres ? Quelles nouvelles connaissances les sciences historiques ont-elles faites depuis ces écrits ? Dans quelle mesure ces dernières ont-elles été intégrées dans les pensées libertaires ?
Plusieurs pistes peuvent être envisagées : – L’opposition jus/lex dans la pensée libertaire, récemment réactivée par Laurent de Sutter dans sa « théorie de l’anarchie juridique » : est-ce que le ius dans son rapport d’autonomie par rapport aux pouvoirs politiques est perçu comme un moyen d’émancipation ou comme un privilège technique et aristocratique ? Dans quelle mesure cette lecture s’insère-t-elle dans une lecture plus large du conflit entre historicité et rationalité du droit au XIXe siècle (6) ? – Définir le seuil de la pensée libertaire : en s’interrogeant sur l’ensemble de la période moderne, il s’agit également de se pencher sur les conditions de naissance et la définition du courant libertaire. Par exemple, étudier le rapport de la pensée anarchiste aux institutions de la période de l’Ancien Régime, période d’émergence du principe étatique, permet-il de comprendre comment les penseurs libertaires se situent par rapport aux penseurs de cette période (continuité ou rupture) ? Dans quelle mesure la pensée libertaire contribue-t-elle au XIXe siècle, « siècle d’ “oubli” de l’État » (7) , au discours sur le droit ? – Quelles images les penseurs libertaires véhiculent-ils depuis cette pensée par rapport au droit ? – Dans la mesure où se constitue au XIXe siècle un nouveau rapport à la science, à la recherche, à l’historiographie, trouve-t-on à cette époque des débats méthodologiques en rapport à l’institution universitaire et son rapport à l’histoire ? L’intérêt d’une telle recherche est double. Elle permet, par un retour critique, de s’interroger sur le rôle de ces marges dans la pensée libertaire (âge d’or, mythe, système, source libre d’inspiration ?) ou, au contraire, du sort fait aux droits et institutions étatiques dans cette pensée (suivant, en négatif, les mêmes réflexions : comment la période de structuration technique du pouvoir sur le mode étatique s’insère-t-elle dans une lecture globale de la temporalité humaine ?). Mais loin d’être seulement théorique, cette recherche donne à voir, à l’aune des temps présents, les exemples, concepts et théories des temps historiques et des penseurs libertaires qui conservent un intérêt pour les réflexions actuelles sur les modes juridiques alternatifs d’organisations des collectivités humaines.
- Dans notre acceptation, le terme de libertaire ici se définit à partir d’un attachement particulier à la liberté individuelle face aux institutions collectives.
- Les réflexions sur l’interaction entre l’anarchie et le droit remontent à Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), auteur de Qu’est-ce que la propriété ? Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement (1840) dans la première moitié du XIXe siècle jusqu’au XXIe siècle à l’image de l’ouvrage de Laurent de Sutter, Hors la loi. Théorie de l’anarchie juridique (2021), sans même évoquer les auteurs antérieurs rattachés a posteriori à la pensée anarchiste, comme William Godwin (1756-1836), auteur de An Inquiry concerning Political Justice, and its influence on General Virtue and Happiness (1793) ; voir la bibliographie infra pour une liste indicative de travaux.
- David Graeber, La démocratie aux marges, Le Bord de l’eau, 2014, rééd., Flammarion [Champs, essais], 2018.
- Aldo Schiavone, Ius : l’invention du droit en Occident, Belin, 2008 ; Laurent de Sutter, Hors la loi. Théorie de l’anarchie juridique, Les Liens qui libèrent, 2021.
- Pour la période la plus récente, nous pensons à Pierre Clastres, James Scott, David Graeber ainsi qu’aux travaux de l’anthropologue évolutionniste Alain Testart. Ce dernier ne s’est, à notre connaissance, jamais rattaché de lui-même à ce courant de pensée mais ces travaux ont fait oeuvre utile pour observer et concevoir des sociétés alternatives dans le temps et l’espace. Pour les périodes les plus anciennes, nous pensons à la famille Reclus (les frères Élie et Élisée et leur neveu Paul) ou encore à Pierre Kropotkine.
- Élodie Djordjevic, « Historicité et rationalité du droit : Hegel contre Savigny », Droit & Philosophie, hors-série no 1, 2021.
- Grégoire Bigot, « État & anthropomorphisme », Des racines du droit et des contentieux. Mélanges en l’honneur du professeur Jean-Louis Mestre, t. 1, L’Épitoge, 2020.